Le contrat Première Embauche fait la une de tous les médias. C’est une pièce importante de la politique de l’emploi du gouvernement Villepin. Cette politique met en place de nouveaux types de contrat de travail, ciblés sur des publics particuliers (le contrat première embauche pour faciliter l’entrée des jeunes dans la vie active, le contrat senior pour inciter les plus âgés à se maintenir en activité), sur des employeurs particuliers (le contrat nouvelles embauche pour faciliter le recrutement des petites entreprises). Elle est justifiée par un diagnostic : l’incapacité de l’économie française à créer suffisamment d’emplois tiendrait non seulement à une croissance économique insuffisamment rapide, mais aussi à la trop stricte réglementation de l’emploi, en particulier aux règles du licenciement, qui seraient en France particulièrement protectrices pour les salariés et contraignantes pour les employeurs. Les employeurs n’embaucheraient pas, parce qu’ils auraient peur de ne pouvoir débaucher en cas de besoin, réduction d’activité ou insatisfaction sur les talents de la personne embauchée. Les employeurs ne prennent pas le risque d’un possible futur licenciement dans une conjoncture de croissance trop ralentie, dont l’avenir n’est pas assuré. Les premières victimes de ces difficultés d’embauche seraient les personnes en insertion (les jeunes) ou sur le départ (les vieux). Les employeurs le plus sensibles au risque, et les plus démunis face à la complexité des procédures de licenciement seraient les petites PME, pas les entreprises du CAC 40, tellement mondialisées que de toutes les façons, depuis longtemps elles ne créent plus d’emploi en France aujourd’hui.
N’exagérons tout de même pas le risque que subissent les jeunes. Un jeune sur 4 en chômage ? Non un jeune actif sur 4 est en chômage, comme le rappelle opportunément une tribune de Libération, datée du 23 mars et signée Florence Audier, Laurence Lizé et Christophe Ramaux. Ce qui n’est tout de même pas la même chose quand la plus grande partie des jeunes générations (les 2/3 des 16-24 ans nous dit cette tribune) sont encore en formation (initiale) et pas encore dans la vie active ; et même si, on le sait, face aux risques de chômage, les jeunes ont tendance à allonger cette formation en espérant que cela les protège. Il reste pourtant cette donnée incontestable : les jeunes générations connaissent des « trajectoires d’emploi » beaucoup plus discontinues que leurs aînés. L’entrée dans la vie active passe par une succession d’emplois dits « temporaires », voire par des stages non rémunérés. Ces dernières années, les jeunes ont été nettement plus sensibles que leurs aînés à l’accroissement du chômage, leurs trajectoires sont devenues encore plus discontinues, ils connaissent aujourd’hui des situations dites « précaires » inscrites dans la durée Les données publiées par l’INSEE en janvier dernier (voir ici) sont sans équivoque.
Sommaire
- Est-il vraiment besoin de nouveaux types de contrat de travail mieux adaptés à cette situation particulière des jeunes ?
- Première erreur : alléger les procédures de débauchage pour favoriser l’embauche.
- Quoi qu’il en soit, deuxième erreur, si l’essentiel est la lourdeur des procédures de séparation d’un salarié devenu surnuméraire, pourquoi inventer de nouvelles procédures dérogatoires, dans une panoplie déjà fournie ?
- Mais sans doute le véritable objectif n’était pas là.
Est-il vraiment besoin de nouveaux types de contrat de travail mieux adaptés à cette situation particulière des jeunes ?
Muriel Pucci et Julie Valentin (ici) interrogent : qu’apporte le CPE que n’apporte pas un CDD ? Et elles rappellent que « toute la littérature économique de la relation de travail explique que l’engagement de l’employeur sur la durée est la condition essentielle de l’efficacité productive à travers l’accumulation de capital humain et de capital informationnel : en termes plus clairs, cela revient à dire qu’il est de l’intérêt de l’employeur de s’engager à long terme pour que le salarié devienne plus productif et que l’on puisse découvrir comment tirer le meilleur parti de son potentiel ».
Il reste que le licenciement d’un salarié sur CDI peut apparaître difficile et coûteux. Ce n’est évidemment pas nouveau. Et ce n’est pas non plus une nouveauté d’inventer des types originaux de contrats particuliers, pour répondre à tel ou tel problème d’emploi et en particulier à celui-ci. Le marché du travail français fonctionne depuis longtemps avec toute une panoplie de statuts d’emploi, des plus protégés (le statut de la fonction publique, ou dans le secteur privé, la norme du contrat de travail à durée indéterminée autour de laquelle s’architecture tout le droit du travail et les protections sociales de la main-d’œuvre) aux plus ou moins précaires (on songe aussitôt à l’intérim, mais il faut dire alors qu’en comparaison de nombreux autres statuts de temporaire, en France, l’intérim donne aux salariés en mission des protections et des rémunérations relativement avantageuses). Ces multiples statuts dérogatoires de la norme du CDI permettent de réduire les difficultés et les coûts de l’embauche ou du débauchage. Leur usage par les employeurs s’avère de fait plus ou moins ciblé sur des emplois ou des populations particulières, en dépit d’intentions souvent opposées du législateur : emplois à temps partiel pour les femmes, stages et emplois aidés pour les jeunes en début de vie professionnelle, emplois temporaires, sous intérim (les jeunes ouvriers de faibles qualification) ou CDD (les femmes employées), etc.
On peut donc presque dire que cette politique des contrats spécifiques et – intentionnellement ou involontairement – ciblés, s’inscrit dans une très longue tradition des politiques françaises de l’emploi. Ce faisant, si l’objectif est bien d’améliorer les taux d’emploi et de résorber le chômage en France, cette politique poursuit trois erreurs, elles aussi peu nouvelles.
Première erreur : alléger les procédures de débauchage pour favoriser l’embauche.
C’est bien l’argument utilisé, tant par nos économistes libéraux que par nos gouvernants ou responsables d’entreprise : pas d’embauche si l’on ne peut débaucher. L’argument se retourne et ce retournement est largement utilisé par les opposants au CPE : les effets sur l’emploi resteront limités puisque cela accroîtra sans doute l’embauche, mais également les débauchages. De fait, avec l’allégement des procédures de débauchages, la chose la plus certaine c’est l’accroissement de ces débauchages. Les effets sur l’embauche sont loin d’être garantis de façon comparable.
Quel sera donc le solde des embauches et des débauchages ? Les évaluations quantitatives sont encore rares mais on peut en citer deux.
Muriel Pucci et Julie Valentin, cf. également leur article dans les Annales d’Économie et de Statistique, n° 78, avril juin 2005, p. 163-187 : « Le renchérissement des CDD peut être favorable à l’emploi: une analyse des décisions des entreprises en environnement incertain ») montrent qu’un assouplissement de la procédure du licenciement peut être défavorable à l’emploi, et l’être d’autant plus que la conjoncture est molle et incertaine, comme c’est le cas aujourd’hui.
Cahuc et Carcillo évaluent l’effet de la mise en place de contrats de type CNE à 70 000 créations nettes d’emploi, effet qu’ils qualifient de « positif de faible ampleur à l’horizon de quelques années ». Ils soulignent également le point essentiel : l’arbitrage à faire entre accroissement du nombre d’emplois et accroissement de l’instabilité des emplois. Ils le formulent ainsi : plus d’emploi mais dégradation du « bien être des demandeurs d’emploi ». C’est à dire au bout du compte et formulé autrement, la transformation d’un chômage pratiquement structurel en un chômage frictionnel, de plus courte durée, mais plus fréquent. Est-ce vraiment un meilleur choix ?
Quoi qu’il en soit, deuxième erreur, si l’essentiel est la lourdeur des procédures de séparation d’un salarié devenu surnuméraire, pourquoi inventer de nouvelles procédures dérogatoires, dans une panoplie déjà fournie ?
Et pourquoi ne pas s’attaquer à la lourdeur des procédures standards elles-mêmes, c’est à dire en termes clair, le droit commun du licenciement économique ? De toute évidence parce que l’on recule devant un objectif qui paraît inatteignable. Alors on contourne la difficulté. Procédure traditionnelle en France.
Bernard Brunhes (ici) la dénonce fort justement et réclame de s’interroger sur une législation française qui selon lui a beaucoup vieilli. Il réclame une refonte générale du droit du travail français et de la protection sociale, qu’il faudrait articuler autour d’un contrat de travail unique assurant flexibilité et mobilités, mais garantissant en contre partie toutes les protections sociales indispensables en cas de mobilité ou de chômage.
De fait, le droit du travail français que l’on dénonce comme rigide, offre une panoplie très riche d’instruments juridiques assurant aux employeurs les très larges possibilités de souplesse qu’ils réclament. Mais les employeurs ne se rendent pas toujours compte de toutes les possibilités qui leurs sont offertes de fait. Il faut bien reconnaître que la complexité des règles est telle qu’il faut assurément être juriste averti pour bien exploiter tous les outils disponibles. Tâche souvent insurmontable pour les petites PME et les artisans.
Enfin, troisième erreur : l’existence de victimes ciblées (les groupes de populations qui supportent le plus gros fardeau du chômage et du sous emploi) exige-t-elle vraiment des mesures ciblées ?
Si l’on croit que l’amélioration de la situation d’emploi des jeunes exige des mesures spécifiques, ce n’est probablement pas en imaginant un contrat de travail spécifique que l’on résoudra le problème.
On l’a dit depuis longtemps, le marché du travail cible naturellement. Pour apparier demandeurs d’emploi et emplois offerts, il « sélectionne », c’est sa fonction. Cela ne signifie rien de plus que de reconnaître que l’employeur est dans son rôle lorsqu’il choisit la personne qu’il embauche parmi l’ensemble des candidats à l’emploi qu’il propose. Plus il y a de candidats (plus le chômage est élevé) et plus il peut choisir. On peut évidemment contester les critères de choix utilisés lorsqu’ils n’ont rien à voir avec une quelconque compétence et comme le disaient pudiquement nos bons économistes de l’école de Chicago, s’appuient sur des indicateurs très indirects de ces compétences, faute d’information parfaite : l’âge, le sexe, l’ethnie ou la couleur de la peau, la longueur des cheveux (pour la génération des jeunes des années 70), aujoud’hui le nom même de la personne, lorsqu’il ne sonne pas très français. Cela s’appelle alors de la discrimination, voire du sexisme ou du racisme. Il n’en reste pas moins vrai que le recruteur est dans son rôle lorsqu’il choisit, qu’il n’y a pas de choix parfait et que toute embauche prend un risque non seulement sur la pérennité de l’emploi pourvu, mais sur la qualité de la personne recrutée. Tout recrutement cible d’une façon ou d’une autre. Et pour les mêmes raisons, c’est aussi le cas des licenciements.
Alors où est l’erreur ? Loin de réduire assurément le ciblage, des mesures ciblées risquent de le renforcer. Elles contribuent à stigmatiser les groupes concernés. Un CPE pour favoriser l’embauche des jeunes ? Comment croire qu’un employeur capable de faire tourner son entreprise sans embaucher des jeunes sur CDI, CDD, stages, emplois aidés ou intérim voudra embaucher sur CPE ? Il le fera si c’est la moins chère et la plus efficace des solutions dont il dispose. Si le CPE mis en place a bien de telles vertus, il ne faut pas être grand devin pour affirmer qu’alors cela aura pour effet d’assimiler embauche jeune et CPE, comme aujourd’hui jeune signifie presque obligatoirement une période probatoire de stages, pendant laquelle bénéficier d’une rémunération fait figure de position très chanceuse. Si l’objectif est d’insérer dans l’emploi, sous entendu de permettre l’accès des jeunes à une sécurité professionnelle, comparable à celle qu’offre aujourd’hui le CDI, ce n’est évidemment par la voie royale d’accès.
Mais sans doute le véritable objectif n’était pas là.
Que ces erreurs soient discutables ou indiscutables importe finalement peu. Le seul objectif clair que l’on aperçoit derrière tous les discours en faveur du CPE, c’est de donner aux jeunes une autre expérience de la vie professionnelle que celle qu’ont eu leurs aînés ; leur apprendre sinon nécessairement la précarité, mais la flexibilité, le changement permanent. Le CPE n’est rien d’autre qu’un aboutissement de la logique qui préside depuis des années à l’insertion professionnelle des jeunes. C’est bien ce que l’on dit lorsque l’on insiste – à juste titre – sur les nouvelles caractéristiques du monde économique contemporain, ses mutations et ses risques, sur la nécessaire mobilité permanente, du travail comme du capital pour affronter la globalisation. Le seul problème, c’est que du changement et de la flexibilité à la précarité, il n’y a pas bien loin. Et pour que la flexibilité n’implique pas la précarité il faudrait d’autres volets à cette politique de l’emploi, écartant tout risque d’arbitraire patronal dans la décision de débauchage (motiver la rupture du CPE, et donc en contrôler les motifs ?), maintenant une bonne protection sociale pour les personnes écartées de l’emploi. Mais 1° ne serait-ce pas vider le CPE de sa substance. Et 2° faute de cela, n’est-il pas légitime de s’interroger : l’objectif visé était-il vraiment de développer l’emploi des jeunes ? N’est-il pas plutôt de réduire plus encore le champ d’action du CDI, en évitant surtout de s’y attaquer de front ?