Le SETT (Syndicat des Entreprises de Travail Temporaire) et trois organisations syndicales de salariés (CFDT, CFE-CGC et CGT-FO) ont signé le 7 septembre 2005 un accord définissant un cadre précis pour la mise en œuvre de deux nouveaux cas de recours pour le travail temporaire crées par la loi de cohésion sociale du 18 janvier 2005.
Le contenu de l’accord
Le statut de l’intérim énumère de façon limitative les cas autorisant le recours au travail temporaire. Trois cas étaient antérieurement admis, tous liés à la situation de l’entreprise utilisatrice : remplacement d’un salarié, accroissement temporaire d’activité, emploi à caractère saisonnier. La loi du 18 janvier 2005 introduit pour la première fois des cas de recours liés à la situation personnelle de l’intérimaire : soit pour « assurer un complément de formation professionnelle », soit pour « faciliter l’embauche de personnes sans emploi rencontrant des difficultés sociales ou professionnelles particulières »
- « Assurer un complément de formation professionnelle »
L’accord du 7 septembre précise d’abord le profil des candidats éligibles à ce complément : avoir des qualifications devenues inadaptées aux exigences de leur bassin d’emploi ; ou bien être âgé d’au moins 45 ans et vouloir maintenir, élargir ou réorienter leurs compétences professionnelles ; ou encore femmes ou hommes désireux d’exercer un métier traditionnellement réservé à l’autre sexe ; enfin personnes venant d’achever un Contrat de Développement Professionnel Intérimaire (accord national du 8 juillet 2004) et ayant besoin d’une formation pratique complémentaire (en entreprise utilisatrice).
Le complément de formation est obligatoirement à deux volets. Une formation permettant l’acquisition de connaissances et de savoir faire transférables est assurée et prise en charge par l’entreprise de travail temporaire. Elle peut se dérouler dans l’entreprise utilisatrice. Une formation à la sécurité ou d’adaptation au poste de travail est prise en charge par l’entreprise utilisatrice.
Le premier volet se déroule dans le cadre d’un contrat de mission formation liant l’intérimaire et l’entreprise de travail temporaire. La rémunération du salarié intérimaire est au moins égale au SMIC et l’indemnité de fin de mission n’est pas due.
Le second volet se déroule dans le cadre d’un contrat de mission conclu entre l’intérimaire et l’entreprise de travail temporaire. La durée du contrat de mission est égale à au moins dix fois celle du contrat de mission formation, afin que « l’effort consenti par l’entreprise de travail temporaire et par le salarié » soit « valorisé ». Pour le reste les conditions de la mission obéissent aux dispositions ordinaires du travail intérimaire
Le dispositif est parachevé par un contrat de mise à disposition entre l’entreprise de travail temporaire et l’entreprise utilisatrice, répondant aux mêmes exigences de durée que le contrat de mission.
- « Faciliter l’embauche de personnes sans emploi rencontrant des difficultés sociales ou professionnelles particulières »
Parmi les publics explicitement visés par ce cas de recours à l’intérim, on relève par exemple :
– les demandeurs d’emploi depuis plus de 12 mois,
– les travailleurs handicapés,
– les bénéficiaires d’allocations comme le revenu minimum d’insertion, l’allocation de solidarité spécifique, l’allocation de parent isolé,
– les jeunes en recherche d’une première expérience professionnelle depuis plus de 6 mois,
– les personnes de 50 ans et plus en recherche d’emploi depuis plus de 3 mois ou sans qualification,
– les personnes ayant cessé leur activité professionnelle depuis plus de 6 mois pour s’occuper de leur famille (enfant, conjoint, ascendants dépendants)
– …
La mise à disposition du salarié est précédée par une convention signée préalablement entre les trois parties concernées, entreprise de travail temporaire, entreprise utilisatrice, salarié intérimaire. Cette convention précise les engagements de chacun sur les actions de formation, d’évaluation, de suivi, d’aide à la définition d’un projet professionnel, etc. Elle précise également les engagements sur la durée de la mission.
La mise à disposition donne lieu à un contrat de mission entre l’entreprise de travail temporaire et un contrat de mise à disposition entre l’entreprise de travail temporaire et l’entreprise utilisatrice, selon le régime commun de l’intérim. La durée de la mission est au moins égale à 10 fois la durée du plan d’accompagnement et de suivi.
Réactions et commentaires
Le Syndicat patronal des Entreprises de Travail Temporaire a sans doute très volontairement minimisé l’événement. Il a souligné ainsi que l’accord n’innove pas lui même puisqu’il ne fait que mettre en place les conditions pratiques de la mise en œuvre des nouvelles dispositions introduites par la loi de janvier 2005. Le SETT a cependant mis l’accent sur le fait que ce faisant, les partenaires sociaux « en définissant un dispositif précis prenant en compte la situation des personnes concernées par ces deux nouveaux cas de recours, ont ainsi souhaité faciliter l’accès ou le retour à l’emploi » (communiqué de presse du 12 septembre 2005). « Il s’agit plus d’une chance pour ces personnes que pour l’accroissement de notre activité » déclare François Roux, délégué général du SETT.
Les syndicats signataires sont restés relativement discrets sur la portée de l’accord. La CGT et la CFTC, non signataires, ont réagi très vivement. La CGT (communiqué du 15 septembre 2005) dénonce les « graves conséquences » de l’accord. Il ne saurait manquer d’aggraver la précarité du salariat. Cet accord permettrait en effet de « librement recourir à l’intérim » dans le cas des nouveaux cas de recours: « tous en intérim » avertit-elle. Surtout, affirme-t-elle, l’accord exclurait « ceux qui sont le plus en difficulté en sélectionnant les plus employables et adaptables aux besoins des entreprises ».
Certains commentateurs avaient prédit que l’accord déclencherait la polémique sur le développement de la précarité. Il n’en a rien été pour ce qui concerne l’accord lui même. Il est vrai que l’accord ne fait que prévoir la mise en œuvre de principes généraux décidés par les parlementaires quelques mois auparavant. Surtout il intervient dans un contexte où le gouvernement multiplie les initiatives et les innovations visant à créer de nouvelles modalités d’emploi jugées plus flexibles. Le Contrat Nouvelles Embauches par exemple, qui permet d’allonger à deux ans la période d’essai du salarié pendant laquelle les formalités de rupture du contrat de travail sont considérablement allégées, monopolise l’attention.
Pourtant le statut de l’intérim en sort d’autant plus transformé que la loi de janvier 2005 introduisait une autre innovation majeure : la fin du monopole public de placement, autorisant les entreprises de travail temporaire à jouer un rôle d’agence d’emploi ordinaire, c’est à dire à recruter pour leurs entreprises clientes sans passer par la fiction d’un contrat de mission d’intérim, auparavant obligatoire. Bien sûr, les règles viennent s’adapter à des pratiques déjà largement diffusées. Les entreprises de travail temporaire travaillent depuis longtemps en étroite collaboration avec l’Agence Nationale pour l’Emploi. Depuis longtemps une part importante des missions d’intérim débouche sur un recrutement par l’entreprise utilisatrice. Mais ce bouleversement du paysage réglementaire de l’activité des entreprises de travail temporaire ne peut que leur donner une dimension nouvelle.
Faut-il y voir un autre témoignage de cette méthode «stroboscopique» que dénonçait Emmanuel Dockès dans un Libres Propos publié par la dernière livraison de la revue Droit Social (n° 9/10, septembre octobre 2005) : une accumulation frénétique de modifications des règles du travail,chacune apparemment mineures, qui cependant mises ensemble, ont des effets ravageurs. «La méthode stroboscopique ne concerne donc pas des réformes de détail. (…) Utilisée avec constance et ténécité, elle a déjà permis la destruction de pans entiers du droit du travail. Et le rythme semble toujours plus rapide »» conclut Emmanuel Dockès.
Quoi qu’il en soit, on hésite à caractériser les effets de la réforme : amélioration de l’emploi ; ou développement de la précarité ; ou enfin, plus subtilement, amélioration de l’emploi précaire ? Une question plus simple est cependant décisive : l’intérim nouvelle formule se développera-t-il en accompagnement de la création d’emploi stables, ou lui fera-t-il concurrence ?