La crise sanitaire qu’a entraînée la pandémie en 2020 a vite touché l’économie tant nationale que mondiale. Pour les ménages français, entre les différentes vagues de confinement et les restrictions de dépenses et de déplacement, l’épargne a atteint un niveau record jamais enregistré.
Les Français ont réalisé 90 milliards d’euros d’épargne de plus que l’année précédente, selon les données publiées par la banque de France, pour les trois premiers trimestres de l’année 2020. Pour apporter des axes d’explication à cette situation, un état des lieux sera d’abord dressé avant d’exposer les potentiels facteurs qui ont pu conduire à ce surplus d’épargne. Nous observerons ensuite le dilemme qui anime les français, entre investir leur argent ou continuer d’épargner.
Sommaire
- Illustration de la situation : une année d’exception pour la patrimoniale financière des ménages français
- Épargne forcée accumulée durant le confinement : impossibilité de dépenser
- Épargne de précaution : dégradation de la confiance des Français en la situation sanitaire et économique
- Épargne d’anticipation d’impôts futurs : prévention d’une éventuelle hausse de la pression fiscale
- Investir ou continuer d’épargner : le choix des Français contraint par le taux de rendement bas et les risques d’investissement
- Devenir des épargnes : quelle conclusion peut-on en tirer ?
Illustration de la situation : une année d’exception pour la patrimoniale financière des ménages français
Pour dresser un état des lieux des épargnes, les analyses suivantes vont se baser sur les données obtenues de la banque de France sur l’épargne financière liquide. Cette dernière a été retenue comme indicateur pour l’analyse parce qu’elle constitue 70 % du patrimoine financier des ménages. De plus, les chiffres sur elles sont précis et plus faciles d’accès.
Entre début janvier et début décembre 2020, le flux de placement des ménages a dépassé les 139 milliards d’euros, s’il a été de 114 millions lors de l’année précédente sur la même période en 2019. La hausse de 21 % est à première vue la conséquence du confinement qui a freiné les dépenses de consommation et de placements. À titre indicatif, les données de l’Insee ont montré une baisse de 32 % des dépenses de consommation des ménages en avril 2020, et une autre baisse estimée à 15 % lors du mois de novembre.
La banque de France a également informé que jusqu’à la fin du troisième trimestre 2020, le numéraire et dépôts à vue ajoutée de l’épargne réglementée des ménages atteignent les 114,4 milliards d’euros, contre 60,7 milliards d’euros en 2019 sur le même périmètre. Un écart de 36 milliards est constaté pour les dépôts à vue, et 18 milliards en sont pour les épargnes réglementées.
L’assurance vie en euro quant à elle, du fait de la diminution du taux, a connu une baisse importante d’une trentaine de milliards, toujours sur les mêmes périodes énoncées. Cette baisse historique est aussi due à la nature de placement à long terme de ce type d’épargne, ce qui encourage les ménages à retirer leur placement.
Ainsi, l’épargne des Français est passée de 143 milliards d’euros en 2019 à 234 milliards d’euros en 2020. Cette hausse spectaculaire peut s’expliquer par le confinement qui a conduit à l’impossibilité de dépenser, la prévention d’une éventuelle dégradation de la situation économique, et la prise de précaution par les ménages pour anticiper les impôts futurs.
Épargne forcée accumulée durant le confinement : impossibilité de dépenser
Les Français ont été privés de dépenser durant le confinement. L’augmentation des flux n’est donc pas le résultat d’un choix d’épargner, mais d’une contrainte due à une consommation limitée. Selon le Bulletin économique de la BCE, cette épargne forcée constitue la raison principale de la hausse constatée, devant l’épargne de précaution et l’anticipation d’autres variables. Les chiffres présentés dans ce bulletin montrent d’ailleurs l’accroissement important de l’épargne entre le premier et le deuxième trimestre de l’année 2020.
L’épargne supplémentaire de plusieurs milliards d’euros réalisée entre janvier et septembre 2020 représente 1,4 point de PIB comparé au PIB sur la même période en 2019. Les économistes s’intéressent alors sur le devenir de cette épargne et ont analysé si elle pourrait être synonyme de consommation future. Mais les prévisions ne sont pas aisées.
La crise sanitaire qu’a connue le monde en 2020 est une situation sans précédente, ce qui empêche de baser les analyses sur les modèles économétriques décrivant le comportement des consommateurs dans le passé. Il faut aussi noter qu’en plus des raisons qui poussent les Français à épargner et à prévoir une somme importante pour les mois, voire les années à venir, les moyens de dépenser l’épargne réalisée restent encore très limités. À la différence de l’achat de biens, les dépenses qui ont dû être réalisées ne peuvent être différées, comme celles relatives aux vacances, aux loisirs et aux autres déplacements.
En guise de tentative de prévision du devenir de cette épargne, il est intéressant d’axer les analyses sur les effets de richesse. Selon une étude publiée en 2019 (Disaggregate income and wealth effects in the largest euro area countries), le surplus d’épargne réalisée peut être considéré comme un choc positif de valorisation de l’épargne.
Pour le cas de la France, cet effet de richesse est de 3 % en se basant sur les analyses économétriques déjà réalisées, ce qui signifie que seuls 3 % de ce surplus d’épargne seront destinés à la consommation. Bien que ces axes d’analyse puissent être influencés par de nombreux autres paramètres, les chercheurs veulent démontrer qu’une consommation future qui va équivaloir l’épargne supplémentaire est très peu probable. En effet, il est encore difficile de prévoir un rebond de la consommation.
Épargne de précaution : dégradation de la confiance des Français en la situation sanitaire et économique
Même avant la période de crise sanitaire, des économistes recommandent de disposer d’au moins trois mois de revenus pour que les ménages puissent faire face aux imprévus. Il peut s’agir d’accidents, de maladies, de panne de voiture, de réparation importante et urgente des lieux d’habitation, etc. Avec l’arrivée de la crise, les Français sont plus enclins à nourrir cette épargne de précaution.
Une étude réalisée par l’Insee a d’ailleurs montré une dégradation de la confiance en la situation économique. Les ménages craignent la baisse de leur pouvoir d’achat pour de nombreuses raisons : potentielle hausse des prix, dégradation de leur situation financière ou de leur niveau de vie à cause d’une perte d’emploi ou une baisse des revenus, saturation du marché du travail à cause d’un déséquilibre conséquent de l’offre et de la demande, etc.
Pour expliquer la hausse de l’épargne de précaution relative à la crainte du chômage et l’absence de perspectives d’emploi, l’analyse va se pencher sur des corrélations. Des variables pouvant avoir des impacts sur l’évolution de l’épargne financière, constituant généralement 14,5 % du revenu disponible, vont donc être confrontées à la fluctuation de cette dernière. Ainsi, se référant aux chocs négatifs du début des années 90 et de la fin des années 2000, le rapport entre l’épargne financière et la dégradation des perspectives d’emploi n’est pas conséquent.
En contrepartie, le taux de chômage et la hausse de l’épargne financière sont fortement corrélés. Une analyse de la situation passée de la France a montré que l’épargne financière connaît aussitôt une hausse de 2 points lorsque le taux de chômage se dégrade d’un point. Si le taux de chômage en 2019 était de 8,1 % de la population active en fin 2019 et estimé à 10,1 % en 2021, une hausse de l’épargne financière en guise d’épargne de précaution est davantage attendue, avec une variation de 4 ou 5 points.
Épargne d’anticipation d’impôts futurs : prévention d’une éventuelle hausse de la pression fiscale
La situation en fin 2020 a montré l’impact positif des politiques budgétaires et monétaires expansionnistes de l’État. La crise, bien qu’elle ait touché tous les acteurs économiques, a eu des impacts limités sur le chômage, la diminution de revenus et les faillites d’entreprises. Les plans de soutien et de relance déployés vont toutefois creuser un déficit structurel. En jouant le rôle de stabilisateur, en réalisant de nouvelles dépenses et en mettant en place des régimes impliquant des moindres impôts, le solde budgétaire dans le cadre des finances publiques subit un déficit important. Si ce déficit est de 3,0 % en 2019, d’après le consensus Bloomberg, il a été de 11,3 % en 2020 et prévu à 6,8 % en 2021 et de 4,6 % en 2022.
Pour expliquer la hausse de l’épargne en 2020, il est avisé de se pencher sur l’équivalence ricardienne. Cette théorie développée par David Ricardo évoque que l’effet des dépenses publiques est indépendant du financement des dépenses ; ces dépenses pouvant être financées par les impôts en guise de financement immédiat, l’emprunt en guise de financement futur, ou la création monétaire afin d’injecter des sommes importantes dans l’économie. En cas de financement par emprunt donc, l’équivalence ricardienne pose l’hypothèse que les agents vont anticiper un surcroît d’impôt qui va servir de remboursement dans le futur. Bien que la richesse globale et la consommation restent inchangées, ils vont épargner davantage pour pouvoir rembourser.
Face aux politiques budgétaires et monétaires expansionnistes mises en œuvre par l’État en période de crise, les Français peuvent s’approprier la contrainte budgétaire publique. Pour anticiper cette situation, les ménages, qui sont des contribuables, épargnent dès maintenant le surplus d’impôt futur qu’ils vont devoir supporter.
Historiquement, cette hypothèse d’épargne d’équivalence ricardienne a déjà été vérifiée, ce qui peut intriguer certains économistes quant à son effet sur la hausse de l’épargne des ménages durant le confinement.
Pour les finances publiques suite à la crise des dettes souveraines, les ménages français ont dû supporter la hausse de la pression fiscale liée aux efforts budgétaires. Ils peuvent considérer une répétition de cette possibilité au vu de la stratégie de relance actuelle faite par l’État. Aussi, un sondage réalisé par Elabe Les Échos en septembre 2020 a exposé l’avis des Français sur l’endettement. « 63 % des Français estiment que l’endettement est inquiétant et rend le niveau de la dette trop important. À l’inverse, 36 % jugent que cet endettement est nécessaire et permettra de mieux faire face à la crise ». Bien que les avis soient départagés, une grande majorité est plutôt défavorable à l’endettement, ce qui peut valider l’hypothèse de David Ricardo.
Il est toutefois à considérer que diverses perspectives existent pour le remboursement des dettes. L’impôt représente juste l’une de ces options, bien qu’il puisse être la plus importante et celle qui vient aussitôt à l’esprit lorsque la recette de l’État est abordée. De par l’intervention de la BCE, une grande partie du remboursement de cette dette ne sera pas ressentie par les ménages.
La majorité de la dette réalisée jusqu’à présent est achetée par la banque centrale. À échéance des obligations, il est très probable qu’elle achètera de nouvelles dettes émises une fois que les anciennes sont remboursées. Cela lui permettrait de garder la constance de son bilan au fil de ses années d’exercice. Cela implique alors pour l’État qu’au moment de rembourser la dette actuelle, il pourra en réaliser une autre. Une hausse d’impôt pour le remboursement des dettes n’est donc pas à craindre pour les ménages, la question d’urgence d’un remboursement n’étant pas inquiétante. Le niveau du taux de la dette réalisée par l’État et détenue par la banque centrale est d’ailleurs peu important. Sur la plupart des titres obligataires émis, les taux sont négatifs et ne coûtent donc pas cher à l’État.
D’un point de vue plus élargi, différents États ont déjà expérimenté qu’une stratégie rigoureuse pour la gestion de la crise des dettes souveraines ne fera qu’accentuer l’ampleur de la crise en question. Lors du début des années 2010, forcer un remboursement avec des mesures strictes et rapides ainsi que des impôts élevés n’a fait qu’altérer la situation économique du pays. Ainsi, le rapport de l’Etat et la BCE montre que les critères européens relatifs à la dette publique sont donc en défaveur d’une corrélation entre l’augmentation de l’épargne en période de crise et l’équivalence ricardienne.
Investir ou continuer d’épargner : le choix des Français contraint par le taux de rendement bas et les risques d’investissement
L’effet de substitution en économie s’illustre par le fait que la baisse des taux d’intérêt décourage l’épargne et incite les ménages à consommer et à réaliser des investissements non financiers. Cela peut d’ailleurs expliquer le décolleté réalisé par l’assurance-vie. À l’inverse, l’effet de revenu implique que plus les taux d’intérêt diminuent, plus les acteurs économiques n’épargneront pas. Dans cette optique, si les ménages ont déjà un objectif quant au bénéfice que vont engendrer leurs épargnes, une baisse des taux peut les inciter à augmenter le montant épargné. Si en Allemagne, le taux d’épargne a augmenté depuis 2013 et a incité les Allemands à épargner plus, les taux d’intérêt sont proches de 0 % en France visant à encourager la consommation et l’investissement ne semble pas faire leurs effets sur les Français.
En termes d’investissement, la désépargne des Français est contrainte par les actifs chers et risqués. La crise sanitaire ayant des effets négatifs sur le cours de la plupart des actions, de plus en plus d’investisseurs procèdent à des achats, ce qui va entrainer la baisse des taux augmentant la valeur présente des flux futurs comme les dividendes et les loyers.
Devenir des épargnes : quelle conclusion peut-on en tirer ?
La hausse historique de l’épargne des Français est principalement due à l’épargne forcée. Les ménages ont, en effet, accumulé 139 milliards d’euros d’épargne avant la fin de l’année 2020. La consommation empêchée par le confinement ne pouvant être différée, les dépenses qui devraient y être allouées ont été épargnées. Cette épargne qui a augmenté durant la crise s’explique aussi par l’épargne de précaution en guise d’anticipation d’une baisse de revenu ou d’une perte d’emploi. Les impacts de la situation économique mondiale sur le marché du travail étant d’ailleurs de grande envergure. L’équivalence ricardienne a aussi été une tentative d’explication à la hausse enregistrée, une tentative rejetée en raison des effets minimes de cette théorie sur le comportement des ménages et leur décision d’épargne.
Au vu des analyses exposées, seule une petite partie de cette épargne sera consommée au terme des diverses vagues de confinement et de la pandémie. Entre le choix d’investir, de dépenser et d’épargner, opter pour l’épargne semble le plus sécurisant du point de vue des Français. Les taux d’intérêt sont bas, les actifs chers, et les consommations, au vu de la situation actuelle et des tendances de reconfinement, restent encore très limitées.
Toutefois, en réalisant des placements dans le capital des entreprises, les ménages peuvent soutenir l’économie en redynamisant la production. Réaliser des dépenses plus importantes en termes de consommation est également une relance importante pour l’économie. Le surplus d’épargne pouvant être considérée comme une enveloppe de trésorerie à dépenser en différé à cause du confinement, et non une réserve d’épargne. La circulation d’une plus grande part de l’épargne des ménages dans l’économie va d’ailleurs favoriser la reprise économique du pays, ce qui sera bénéfique pour tous les acteurs économiques, dont les ménages.
Il est également à souligner que la hausse de l’épargne traduit les disparités qui existent au sein de la population en France. Un sondage mené pour la Banque de France en fin 2020 a montré que seul 1 Français sur 4 a pu réaliser plus d’épargne que d’habitude pendant le confinement. Cela démontre encore que la pandémie a fortement touché l’économie tant au niveau micro que macro, en creusant davantage les inégalités et en précarisant une partie de la population.
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