L’abandon de poste est un sujet épineux aussi bien pour les entreprises que pour les salariés. Pour les premières, elle représente potentiellement un manque à gagner, l’ouverture d’un conflit qui peut prendre un tournant judiciaire, et un dysfonctionnement dans le système de l’entreprise. Pour les seconds, elle peut mener à des luttes ouvertes, le risque de représailles y compris dans le milieu professionnel, et à une perte financière certaine.
Plus important encore, l’abandon de poste est entouré par un flou juridique qui n’est précisé que via jurisprudence (décisions de justice via les tribunaux). Alors pour éclaircir tout ça, nous vous proposons ci-dessous un guide, destiné aussi bien aux salariés qu’aux entreprises, concernant l’abandon de poste, ses conséquences, ses moyens d’action et ses alternatives.
Sommaire
Qu’est-ce que l’abandon de poste et en quoi ça consiste ?
Comme on le précisait en introduction, le concept d’ « abandon de poste » n’est reconnu dans aucun texte juridique, comme la loi ou le Code du travail. Son application pratique et ses limites découlent donc des principaux généraux de l’organisation et la légalité du travail, laquelle est décidée au cours de procès. Durant ces procès, les tribunaux rendent des décisions de justice qui font « jurisprudence », c’est-à-dire qu’elles créent automatiquement un nouveau concept dans la loi. Par exemple, si lors d’un procès, le tribunal reconnaît que l’abandon de poste ouvre droit à des dommages et intérêts pour l’entreprise, alors cela créera une jurisprudence nationale. Celle-ci permettra alors potentiellement aux entreprises de réclamer des dommages et intérêts dans le même genre de situation.
Il est donc difficile d’en donner une définition précise qui serait à même de capturer toutes les réalités existantes. On peut néanmoins se mettre d’accord sur le fait que l’abandon de poste consiste en un salarié qui ne se rend plus sur son lieu de travail et n’effectue plus les tâches qui lui sont attribuées, et ce sans en avoir notifié préalablement l’employeur. En bref, le salarié cesse de travailler sans en avertir l’entreprise.
Cela a bien entendu de lourdes conséquences, aussi bien pour le salarié que pour l’entreprise. Découvrez-en plus sur le fonctionnement de cette procédure et ses conséquences, risques et moyens d’agir pour entreprises et salariés.
Côté entreprise : que faire face à un abandon de poste ?
Pour une entreprise, un abandon de poste est presque toujours une mauvaise nouvelle. Certes, il est possible que cela permette de mettre fin au contrat d’un employé qui ne s’investissait pas dans son travail, ou avec lequel on avait des différends.
Mais dans la plupart des cas, l’entreprise se retrouve pénalisée car le travail n’est plus effectué et un membre de personnel est manquant, ce qui est à la fois mauvais pour la productivité et pour l’esprit d’équipe. Il est donc crucial, face à un employé manifestement en situation d’abandon de poste, de traiter le problème de manière adéquate.
Les étapes de la réaction : l’importance de la procédure
Malgré le flou juridique qui entoure la notion, l’abandon de poste a plus ou moins développé une procédure informelle via la jurisprudence. Bien que celle-ci ne soit pas officialisée légalement, il est conseillé aux entreprises de la suivre pour éviter tout retournement de situation si les choses venaient ensuite à prendre un tournant judiciaire.
Obtenir des informations, se renseigner
La première chose à faire, avant même d’envisager toute discipline procédurale, est de vous renseigner sur le motif de l’absence. Il est en effet possible que l’employé ait exercé son droit de retrait à la suite d’un évènement exceptionnel, et ne vous en ait pas informé. Pensez à vous renseigner également auprès de son entourage et de ses collègues. A noter que la durée légale pour envoyer un arrêt de travail est de 48h.
Informer formellement le salarié
Si au bout de quelques jours (moins d’une semaine), vous n’avez pas eu davantage d’informations sur l’absence du salarié, vous pouvez alors le notifier officiellement de son absence et l’astreindre à reprendre le travail. Pensez à le faire dans un délai assez court : un employeur avait licencié son employeur 8 semaines après l’abandon de poste pour faute grave, ce à quoi la justice a répondu que la durée avait été trop longue. Pensez ainsi à le mettre en demeure rapidement de reprendre le travail sous une durée déterminée.
Démarrer un processus disciplinaire : sanctions, faute grave, licenciement
Même si cela n’est pas une obligation, la procédure disciplinaire consiste en un entretien préalable à sanction disciplinaire, celle-ci pouvant démarrer de l’avertissement et aller jusqu’au licenciement. Il est important de ne pas dépasser le délai de 2 mois à compter de la connaissance de l’absence. Concernant les sanctions et le fameux « licenciement pour faute grave », référez-vous d’abord aux conventions collectives qui peuvent indiquer des procédures spécifiques pour ce genre de cas.
Vous pouvez également vous référer à la jurisprudence ; la justice reconnaît qu’un abandon de poste peut constituer une faute grave, mais pas si celui-ci intervient à la suite d’un arrêt maladie et sans que la visite de reprise n’ait été effectuée. De la même manière, 6 semaines ont été considérées comme un délai trop long pour justifier le caractère « grave » de la faute, étant donné que l’employeur a pu attendre 6 semaines sans en pâtir par ailleurs.
Côté salarié : les conséquences de l’abandon de poste et les recours possibles
Pour le salarié effectuant un abandon de poste, il existe souvent une logique sous-jacente. Celle-ci peut être personnelle (difficultés familiales et relationnelles, problèmes médicaux) ou directement liée à l’environnement de travail (stress important, mauvaises relations avec les collègues ou la direction, manque de sécurité, pratiques illégales). Pour beaucoup de salariés, l’abandon de poste est donc une solution de dernier recours, visant à marquer une rupture nette et identifiable.
Si certes elle permet au salarié de se débarrasser concrètement d’un environnement de travail oppressant, cela s’accompagne également de risques sérieux, aussi bien au niveau judiciaire que financier et professionnel. Il est donc important de comprendre de tels risques avant de faire un tel saut dans l’inconnu.
Salarié en CDI
L’abandon de poste en CDI vaut absence directe de salaire. Il mènera à la longue à la prononciation d’un licenciement pour faute grave, mais aucune indemnité ne sera versé une fois le licenciement effectif.
Salarié en CDD
Rupture initialement prévue à la fin de la période déterminée, le salarié en CDD peut mettre fin à son contrat sous certaines conditions seulement encadrée par l’article L1243-1 du code du travail. Les possibilités de rupture en cours sont : accord des parties, signature d’un CDI, faute professionnelle. L’abandon de post peut se faire en étant sous CDD de la même manière que pour un CDI. Cela peut déboucher sur un licenciement pour faute grave si c’est que vous recherchez. Seulement, votre employeur peut décider de suspendre votre rémunération jusqu’à la fin de votre contrat et ne pas vous licencier pour autant.
Les risques pour le salaire et les indemnités
Le salaire est une contrepartie pour votre travail, ce qui signifie qu’à partir du moment où vous abandonnez votre poste, vous n’êtes plus rémunéré (sauf cas d’arrêts maladie). Si votre employeur décide par la suite de prononcer une mise à pied temporaire ou un licenciement, vous ne percevrez pas votre salaire pour les mêmes raisons. A noter également que vous n’êtes pas considéré comme éligible aux indemnités ou ouvert à un autre contrat de travail, car vous êtes officiellement encore engagé auprès de votre ancienne entreprise.
Les risques d’un licenciement long à venir ou inexistant
Dans certaines situations, l’employé peut vouloir abandonner son poste pour être libéré au plus vite : cela peut être parce qu’il a trouvé un nouvel emploi ou qu’il souhaite se mettre en recherche parallèlement aux indemnités de chômage. Néanmoins, sachez que l’employeur n’est pas tenu de vous licencier au plus vite : s’il se doute de quelque chose, il peut intentionnellement décider de rallonger la durée avant le licenciement effectif en guise de représailles. Sachez également que, même si votre employeur n’est pas déterminé à vous mettre des bâtons dans les roues, la procédure prend un certain temps qui peut vous pénaliser.
A noter, enfin, qu’un employeur peut décider de ne pas licencier l’employé, ce qui a pour conséquence de vous empêcher de chercher un autre travail, de bénéficier d’indemnités ou de toucher un salaire.
Les risques de dommages et intérêts
Si certes le cas est moins fréquent, il existe : l’employeur peut exiger, devant leConseil de Prud’hommes, des dommages et intérêts et devra alors prouver que votre abandon de poste lui a causé un tort financier. Cela arrive rarement, car la situation prend immédiatement un tournant judiciaire avec ce qu’il implique de frais, mais le phénomène touche particulièrement les TPE (où l’équipe est restreinte et essentielle) ou les employés détenant un rôle-clé dans le bon fonctionnement de l’entreprise.
Les conséquences pour Pôle Emploi et votre avenir professionnel
Du côté de Pôle Emploi, le risque est surtout au regard des indemnités. Certes, l’abandon de poste – en tant qu’il n’est pas reconnu juridiquement – n’empêche pas de percevoir indemnités et autres allocations chômage. Toutefois, fonction de comment votre ancien employeur remplit l’attestation pour Pôle Emploi, il est possible que votre dossier soit davantage examiné, et que le versement des prestations en soit donc retardé.
Mais surtout, il est important de considérer le potentiel impact sur votre avenir professionnel. Selon le secteur dans lequel vous vous trouvez, le monde peut-être petit, et si les relations avec votre ancien employeur étaient mauvaises, celui-ci peut chercher à nuire à votre réputation. A l’entretien pour un nouveau travail, si vous êtes interrogé sur cette période, préparez votre réponse : la franchise est souvent la meilleure des choses, mais un potentiel employeur pourra craindre pour sa propre entreprise s’il sait que vous avez déjà effectué un abandon de poste auparavant.
Les alternatives à l’abandon de poste
On l’aura compris : aussi bien pour une entreprise que pour un salarié, l’abandon de poste vient avec de nombreuses conséquences dont la plupart est néfaste pour les deux partis. Même s’il n’existe jamais de solutions idéales, et même si les alternatives ne se prêtent pas forcément à toutes les réalités, il est important de les connaître et de les envisager avant de mettre fin à sa présence au sein de l’entreprise.
Le dialogue
Il s’agit de l’option la plus simple, et qui pour beaucoup peut faire rire tant on a l’impression que le dialogue entre direction et salariés est rompu. Pour autant, il en va autant de l’intérêt du salarié de se sentir bien au travail que de celui de l’entreprise, car une entreprise aura de facto de meilleures perspectives d’avenir si son personnel se sent accompli et en situation de bien-être.
La première option est donc de provoquer le dialogue entre partis adverses. Si un dialogue frontal est parfois impossible, il peut être utile de chercher conseil auprès de ses collègues ou d’un syndicat (quand cela est possible).
La syndicalisation (conditionnelle)
Toutes les entreprises ne permettront pas forcément d’accueillir un syndicat en leur sain, notamment en ce qui concerne les Petites et Moyennes Entreprises (PME) et Très Petites Entreprises (TPE). Néanmoins, pour les entreprises où cela est possible, la syndicalisation reste une option intéressante pour obtenir une assistance légale et personnelle, ainsi que pour poser d’emblée une certaine pression sur l’employeur. Il faut toutefois considérer la portée symbolique dans ce syndicalisme alors que ce dernier renvoie à de nombreuses luttes entre patronat et employés, ce qui peut donc envoyer un message de conflit ouvert.
A noter que pour les PME et TPE, il vous est possible de vous rapprocher des branches générales des syndicats les plus courants pour obtenir une telle assistance.
La négociation et la rupture de contrat à l’amiable
Particulièrement intéressante si vous avez une certaine ancienneté dans l’entreprise, la rupture dite à l’amiable consiste en la fin du contrat de l’employé négocié par celui-ci et la direction, et éventuellement un représentant syndical (au besoin). Au cours de ces négociations, vous pouvez notamment négocier le montant des indemnités de départ. Celles-ci ont un seuil minimal défini par la loi fonction de votre ancienneté, mais il vous est possible de réclamer davantage.
Si la rupture de contrat à l’amiable est difficile dans les situations très conflictuelles, elle présente un intérêt certain à la fois pour l’entreprise, qui peut sortir d’une situation à risque, et pour l’employé, qui ne part pas sans rien.
La procédure judiciaire
De très nombreuses procédures judiciaires existent pour réguler la vie professionnelle et les rapports entre direction et employés. Les Prud’hommes, notamment, représentent une institution préalable aux tribunaux d’instance qui permettent d’apporter une première réponse judiciaire à une situation de conflit. A noter, toutefois, que les jugements rendus aux Prud’hommes sont souvent cassés en appel du fait de la non-professionnalisation des juges de Prud’hommes ; une tendance susceptible de s’inverser maintenant que cette instance fait systématiquement appel à un professionnel du droit.
Dans des cas plus graves d’harcèlement ou autres pratiques illégales, il vous est possible de poursuivre votre entreprise ou une personne y travaillant en justice. Pour cela, vous pouvez faire appel à un syndicat pour une assistance légale et judiciaire, ou faire appel à un avocat si vous en avez les moyens.